Située à Saint-Flour au coeur de l’Ancien Grand Séminaire

Un patrimoine exceptionnel

La Grande Bibliothèque, avant les travaux

Aujourd’hui la Grande Bibliothèque ressemble un peu à certaines églises de campagne qui ne servent plus qu’une ou deux fois par an, se figent et se couvrent lentement de poussière. Mais tout comme l’église de campagne, elle a besoin d’être protégée, car si elle sert peu, si le fonds n’est pas (encore) informatisé, elle ne réclame pas moins d’être entretenue et restaurée, car elle recèle de très nombreux trésors. On pourrait prendre en considération la valeur marchande de ces ouvrages, puisque quelques-uns valent plusieurs milliers d’euros, mais il semble plus pertinent d’évoquer leur valeur culturelle. Si la structure de la grande bibliothèque n’a que 160 ans, son contenu est beaucoup plus ancien et témoigne des vicissitudes subies par le Grand Séminaire à la Révolution et en 1905. Ces bouleversements mêmes ont permis l’accroissement de ce fonds exceptionnel (comme dit l’adage : « tout ce qui ne me tue pas me rend plus fort ! »). Lorsque les Jésuites de Saint-Flour seront interdits d’enseignement en 1761, par exemple, leurs livres aboutiront sur les rayonnages de la Grande Bibliothèque, comme l’importante série de « post incunables » provenant de l’ancien collège.

On peut citer les remarquables Chroniques de Monstrelet de 1518, ou encore les œuvres d’Hugues de Saint-Victor de 1520. De même, lorsque Monseigneur Delmont réintègrera son séminaire en 1805, il s’empressera de récupérer les ouvrages des congrégations religieuses disparues pendant la Révolution, si bien qu’au milieu du XIXe siècle, 15 000 ouvrages garnissaient déjà les rayonnages. Chaque génération a laissé son lot : bibliothèques du petit séminaire de Pleaux, de Saint-Flour, des écoles, des couvents, des prêtres… bien souvent les livres finissent leur parcours à la Grande Bibliothèque. Si bien que cette « belle endormie » enferme aujourd’hui une sorte d’histoire du livre imprimé, depuis l’incunable de 1489 jusqu’à la Patrologie en trois cents volumes du sanflorain Jacques-Paul Migne, véritable monument éditorial du XIXe siècle. On y trouve également la très célèbre encyclopédie de Diderot, mais aussi de nombreux dictionnaires publiés du XVIIe au XIXe siècle : dictionnaire français-latin du père Philibert Monet, qui en 1639 voulait qu’on écrive le français comme on le prononce (un visionnaire ?), le fameux « Littré » ou encore le moins connu mais non moins sérieux « Trévoux »… ils sont présents pour la plupart, ces grands dictionnaires de référence, tous témoins de leur temps.

La Grande Bibliothèque, aujourd’hui

Petite histoire de la Grande Bibliothèque

L’histoire de la Grande Bibliothèque et des ouvrages qui la constituent remonte à la fondation du séminaire par l’évêque Jacques de Montrouge en 1651. Celui-ci s’entoure de deux Sulpiciens pour diriger cette première maison. À son décès, il lègue une importante somme d’argent et sa bibliothèque personnelle : plus de 560 ouvrages. Monseigneur de La Motte Houdancourt décide ensuite de confier la direction du séminaire aux Lazaristes, des prêtres zélés, particulièrement qualifiés pour diriger ce type d’établissement. Saint Vincent de Paul, le fondateur de la congrégation, les avait précisément recrutés pour assurer la formation des prêtres, très défaillante à la fin du XVIe siècle. Les Lazaristes prennent possession du séminaire en 1674 et vont le diriger quasiment sans interruption jusqu’en 1905. Monseigneur de Ribeyre est le constructeur de l’édifice actuel, avec sa façade majestueuse coiffée de magnifiques toitures galbées, ses terrasses, son exposition parfaite. La première pierre est posée en 1752 et le bâtiment central est achevé en 1757. Trente ans plus tard, la tourmente révolutionnaire va donner un premier coup d’arrêt à cette entreprise de longue haleine et déjà porter atteinte à la bibliothèque constituée sur la base du legs de Mgr de Montrouge. Les Lazaristes qui refuseront de prêter serment seront expulsés, et le Grand Séminaire sera transformé en École Normale, de 1800 à 1802. Lorsqu’en 1805 le bâtiment est restitué à l’Église, Monseigneur de Belmont va immédiatement remettre en service le séminaire et reconstituer une bibliothèque correcte. Pour cela, il va racheter les livres des ordres dissous pendant la Révolution : bénédictins de la Chaise-Dieu, jésuites du Puy, dominicains, cordeliers et jésuites de Saint-Flour (un grand nombre de livres proviennent du collège de ces derniers). 

En 1840, Monseigneur de Marguerye fait construire une aile qui abritera la nouvelle « grande bibliothèque », celle-là même qui nous est parvenue. Les travaux furent réalisés selon les plans d’Arveuf, architecte à Paris. Cette « grande bibliothèque » occupera le premier et le second étage de l’aile est, l’accès aux rayonnages supérieurs se faisant par une magnifique galerie qui donne tout son charme à l’ensemble. La loi de Séparation de l’Eglise et de l’Etat va porter un dernier coup, qui faillit être fatal, au Grand Séminaire. En décembre 1906, les Lazaristes et les séminaristes sont expulsés. Quelques jours avant, professeurs et élèves se sont attelés à déménager la précieuse bibliothèque, et un certain nombre de livres sont entreposés dans l’asile des Filles de la Charité, situé rue du Thuile haut. Le Grand Séminaire sera confié à l’administration des Domaines et restera à l’abandon quelques temps. Cependant, les autorités municipales auront à coeur de protéger les ouvrages de la Grande Bibliothèque et vont charger Léon Bélard, bibliothécaire municipal, de l’opération de sauvetage. Une partie du fonds est transférée à Aurillac, mais Léon Bélard a pris soin de faire transporter à la bibliothèque municipale de Saint-Flour un nombre important d’ouvrages. Finalement, six à sept mille livres seront mis en vente aux enchères sur la place publique, au prix de 4 francs le quintal. M. Pouderoux, curé-archiprêtre agissant pour le compte de l’évêque, va enlever le tout pour la somme de 10 francs le quintal. Les livres seront transportés dans le char du grand séminaire, vers l’ancien asile des soeurs de la Charité. La municipalité finira par mettre le Grand Séminaire en vente, et c’est l’abbé Fleuret, un prêtre fortuné originaire d’Allanche, qui rachètera le bâtiment et le restituera à Monseigneur Lecoeur en 1913. Le Grand Séminaire retrouve donc sa fonction première jusqu’en 1959, date de la fermeture définitive.

Aujourd’hui, la présence des séminaristes est encore perceptible grâce à leurs livres et leurs photos dans des albums cartonnés…